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La lettre de E.T – N°149

6 janvier 2016 | Lettre de E.T.

DECOUVREZ F. MITTERRAND TEL QU’EN LUI- MÊME !

La belle revue trimestrielle CHARLES publie en ce début d’année «Le roman Mitterrand », un patchwork riche et inattendu, composé aussi bien des témoignages de Jean-Luc Mélenchon, Michel Charasse, Édith Cresson, Philippe Sollers, que de son fils Gilbert ou de sa fille Mazarine Pingeot… Sans oublier votre servante. Je suis interviewée par Guillaume Fédou. En voici le texte (Ière partie):

« Elizabeth Teissier a fait beaucoup fantasmer depuis qu’elle a été vue sur les podiums Chanel dans les années 60 ou au cinéma dans des films de William Klein, Marcel Carné, Sydney Pollack ou Philippe de Broca. Mais alors qu’elle est devenue la plus célèbre astrologue du pays, c’est sa relation avec François Mitterrand qui a le plus excité les esprits. Le président s’est-il laissé influencer par les astres pour gouverner la France ou était-il simplement amoureux fou de cette beauté troublante dont il disait qu’elle lui faisait penser à Ava Gardner ? Pour Charles, Elizabeth Teissier a accepté de répondre à la question rituelle que lui posait Mitterrand à l’occasion de leurs nombreux déjeuners entre 1989 et 1995 : « Comment je vais, et comment va la France ? »

LE ROMAN MITTERRAND L’ASTROLOGUE LES LOIS DE l’attraction propos recueillis par Guillaume Fédou

– « Comment je vais, moi, et comment va la France ? »

– Ah ! Vous vous prenez pour François Mitterrand ! Il avait un facteur Lion dans son thème – et le Lion dit « l’État c’est moi », ou « moi d’abord ! » Mitterrand était Scorpion ascendant Balance avec des planètes en Lion, donc un être secret mais esthète et doué pour le dialogue, c’est pour ça que je n’étais pas étonnée qu’on l’appelle Dieu chez « les Muppets », au « Bébête Show »… Elle était drôle cette question, mais surtout récurrente : il me la posait à chaque fois. C’était un homme plutôt distant, mais en même temps il était très affable, courtois, pour tout dire je l’ai toujours trouvé fascinant. Je me souviens d’un déjeuner chez lui où l’on dévorait ces inévitables crustacés, et assis sur une banquette dans sa salle à manger il m’a demandé de lui montrer sur une carte de mon Encyclopédie astrologique (Astrologie Passion, Hachette 1992) comment tout cela fonctionnait, et il était attentif comme un écolier. Il a très vite compris et pourtant l’astronomie, la cosmographie – la base de l’astrologie – sont difficiles à appréhender a priori, parce qu’abstraites. Un esprit pointu, très intelligent, rapide, avec une éblouissante capacité de synthèse, mais qui n’appelait ni à la confidence ni à la familiarité. En même temps il avait de l’humour… Comment je vais, oui, comment va la France, est-ce que je vais bientôt mourir, c’était son obsession… J’avais vu sa maladie dans les étoiles mais n’osais lui en parler franchement. Son analyse était parue en automne 1982, dans Votre Horoscope 1983, juste après son élection et j’avais écrit que notre président était probablement déjà « malade du système génital ». Il a cependant tardé jusqu’en 1989 pour me voir et ne parlait guère de sa santé. Mais il voulait tout savoir ! Il préférait me demander si j’étais toujours avec mon journaliste autrichien (Rires). Je lui répondais que ce dernier avait été élu le même jour que lui – en quelque sorte – puisque je l’avais rencontré lors d’un dîner le soir de l’élection, c’était curieux et drôle à la fois… Donc je disais à Mitterrand : « Vous êtes toujours là, alors lui aussi », et cela l’amusait beaucoup.

– Il était manifestement amoureux de vous.

– Difficile à savoir : un Scorpion, c’est secret ! Et je ne faisais rien pour l’encourager… Oh, il a bien fait une tentative de bisou furtif une fois, je lui ai dit : « Monsieur le Président, vous avez du rouge à lèvres là… » et je le lui ai tout de suite enlevé avec ma serviette de table. On venait une fois encore de déguster des huîtres, et durant ce déjeuner je me rappelle que je l’avais un peu agacé car nous étions en pleine guerre de Yougoslavie et je lui avais demandé pourquoi il n’y envoyait pas des troupes comme le suggérait Manfred Wörner, le secrétaire général de l’OTAN, que j’avais rencontré à Bruxelles… Non, sur ce plan j’étais très distanciée, et bien qu’on dise le pouvoir aphrodisiaque, ce Scorpion n’était pas ma tasse de thé sur le plan érotique, et puis j’étais « casée », et un petit Capricorne, c’est fidèle, n’est-ce pas, cher Guillaume (notre journaliste est né le 7 janvier – NDLR) ? Sa femme Danielle, Scorpionne elle aussi, était jalouse, elle avait sûrement des raisons de l’être, car il était très séducteur et séduisant… Mais il ne voulait pas mélanger les sas, il était pour tout compartimenter – je voulais la rencontrer mais il ne me l’a jamais présentée… Finalement nous nous sommes croisées pour le prix décerné au premier étage de chez Lipp par plusieurs éditeurs, où j’avais deux livres célébrés cette année-là. Au moment de faire la photo de famille, Danielle me toise : « Vous en avez carrément deux, vous ! » et j’ai répondu : « Oui, c’est une très belle année pour moi. » Elle s’est vexée, manifestement le courant ne passait pas. On m’a même dit, comme j’étais pressentie dans la prochaine fournée des lauréats de la
Légion d’Honneur l’année suivante, qu’elle avait fait obstruction. C’est Dumas, que je voyais de temps en temps dans des dîners, qui me l’a raconté un jour : « Au fait, vous savez que notre amie s’est opposée à votre médaille, elle a fait mettre votre dossier sous la pile. » J’étais outrée !

– Sans doute était-elle aussi opposée à vos idées.

– Si encore c’était par rationalisme ! Seulement par jalousie… Et d’ailleurs, c’est là un faux procès qu’on fait à l’astrologie : je suis rationnelle, croyez-moi ! Vous savez, le fameux distinguo pascalien entre « esprit de finesse » et « esprit de géométrie », eh bien, l’astro exige les deux… Il y a une mathématique et une grammaire des astres. Les mêmes symptômes peuvent refléter plusieurs maladies et une configuration des événements différente, uniquement reliés entre eux par le symbole… Car l’astrologie repose sur la loi d’analogie et non sur la loi d’identité. Oui, je suis rationnelle, évidemment, tout comme était rationnel l’astronome Jean Kepler, un Capricorne comme Nostradamus né un 6 janvier comme moi – c’est drôle non ? – qui écrivait ses almanachs astrologiques.

– Revenons au début, quand la secrétaire de l’Élysée vous contacte.

– Oui, je me suis même demandé si on ne m’avait pas suivie car, vivant à Genève, j’arrive à Paris dans cet appartement après une assez longue absence et voilà que le téléphone sonne dès que je pose mes valises ! C’était l’Élysée ! Il n’y a pas de hasard, que des rendez-vous comme disait Éluard. Au départ j’étais sceptique quand j’ai eu la secrétaire générale de l’Élysée au bout du fil. J’ai cru à une farce ; mais non c’était sérieux, je me suis rendue à notre premier rendez-vous où il n’a parlé que de lui pendant une heure et demi. Plus tard j’ai su par le journaliste Philippe Alexandre, un Poissons charmant, que les rendez-vous avec le président ne dépassaient jamais vingt minutes ! Et moi j’ai eu droit à une heure et demie d’autopromotion de Mitterrand : « J’ai été le plus jeune ministre de France… ». Il ne m’a pas posé la moindre question. Au bout de tout ce temps il me dit : « Quelqu’un m’attend depuis longtemps dans le couloir, nous devons nous séparer », mais en ajoutant que nous allions nous revoir… Et il me tend son gros Mont-Blanc pour que je note un téléphone… Et là, je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander à quoi je devais le privilège de cette rencontre. « J’ai suivi votre parcours et je voulais connaître autant l’astrologue que la femme », m’at- il répondu avec un sourire énigmatique.

– Il n’était donc pas venu vous consulter au sujet de ce qu’il appellera plus tard « les forces de l’esprit » ?

– Comment savoir ? De fait, il ne m’a pas semblé du tout perméable aux forces de l’esprit lors de ce premier rendez-vous. C’est à l’occasion de notre deuxième rendez-vous, qui eut lieu neuf mois plus tard, le temps d’une gestation en somme, qu’il a commencé à me poser des questions. Mitterrand voulait savoir comment fonctionne l’art royal des astres. Je lui ai fait un bref exposé et en un quart d’heure il avait compris les principes de base de l’astrologie. Et contrairement à ce qui se dit ici ou là, surtout chez les primaires qui sont légion, je ne l’ai jamais envoûté ou « gourouté », d’abord parce que Mitterrand était tout bonnement « inenvoûtable » et ensuite parce que ce n’est pas mon truc ! J’aime laisser aux gens leur libre arbitre… C’était un esprit fort, cultivé, forcément sceptique, il faisait le tri, mais c’est la convergence de certaines de mes prévisions avec les faits qui l’a convaincu. Quand il a découvert que j’avais prévu la chute du mur de Berlin à un jour près, le 8 novembre 1989, il m’a dit qu’il était « fort étonné » et venant d’un Scorpion sceptique, j’ai apprécié le compliment, car ces natifs sont plutôt avares en compliments ! Puis il a lu mes prévisions sur la crise du Golfe, prévue au jour près dans Vos étoiles jusqu’à l’an 2000 et là il m’a appelée directement de Latche, au soir du 6 août : « Vous avez raison, mais Saddam Hussein va se retirer. » Alors je lui réponds que non, ce ne sera pas si simple, ça ne serait pas marqué d’une façon aussi énorme dans le ciel avec des retentissements sur le ciel de la France, de l’Allemagne, des USA, et même d’Israël… Comme je ne suis pas voyante, n’est-ce pas, je ne pouvais deviner que l’Irak y serait mêlé. Ensuite on dit que c’est moi qui ai choisi la date de l’intervention française au Koweït mais pas du tout, ce sont les Américains qui ont choisi quand frapper, nous n’avons fait que suivre, et lorsque Mitterrand me dit : « Alors, ils vont se retirer, ces Américains ? », je lui répondis que non, ça va continuer. Mais lorsque les événements m’ont donné une fois de plus raison, il m’a demandé à l’été 1992 – je me trouvais chez mon éditeur lorsqu’il m’a appelée, à la grande surprise des collaborateurs de Hachette ! – de lui calculer une bonne date, pour lui et pour la France, pour fixer la date du référendum sur Maastricht… Et comme c’était urgent, je me suis plongée là, sur place, dans mes éphémérides et me suis décidée pour septembre 1992. Le 24, je crois… J’ai un peu oublié…

– Vous décrivez quelqu’un de finalement plutôt « astro-dépendant ».

– Oui et non. Oui, dans le sens où les choses se sont précipitées. C’était une période agitée avec la crise puis la guerre du Golfe ; il a commencé à me demander de venir assez régulièrement à l’Élysée, il m’appelait souvent à Genève. Est-ce qu’il devait voir Bush ? Quand devait-il parler aux Français ? Tout ça est sur cassettes, certains extraits ont été diffusés sur France Info, mais aussi reproduits à l’époque dans le Vrai Journal de Karl Zéro (édition papier mai-juin 97 – NDLR). Certains médias ont insinué que j’affabulais alors que je sortais par la grande porte de l’Élysée avec parfois son chauffeur qui me raccompagnait, ce n’était un secret pour personne. Raison pour laquelle Philippe Alexandre m’avait demandé : « Vous avez rencontré le président, il vous a gardé combien de temps ? » car les journalistes ne restaient jamais longtemps… Il préférait à l’évidence entendre des choses nouvelles et inattendues. Je pense aussi qu’il gardait une grande liberté de jugement, qu’il jaugeait les arguments, et que c’est en raison de son grand pragmatisme, justement, qu’il adhéra de plus en plus au paramètre astrologique.